top of page
Grenouille rousse
Juillet 2019, Rouge Feigne
A.Passager

L'oiseau dans la brume

Dernière mise à jour : 7 nov. 2019

Mont d'Or, 31 Octobre

Dans la forêt noyée de brouillard retentissent les bruits des engins de chantier et des tronçonneuses. On prépare la station, on extrait quelques grumes. Les humains attendent la neige, l’espèrent. La forêt est remplie du vacarme de leurs activités pourtant, sans cette pollution sonore, ceux-ci auraient très bien pu rester invisible tant la vue n’est que de quelques pas. Avançant presque à l’aveuglette, le promeneur qui se risque dans ces lieux se tient prêt à détaller comme un chevreuil au moindre grondement de roches qui dévalent des chantiers. Et s’il parvient à rester attentif, peut être aura-t-il repéré le chant timide d’un bouvreuil et les tapis de feuilles jaunes des derniers ormes des montagnes… C’est l’automne dans la forêt jurassienne.

Au-dessus de ce vacarme, les crêtes jaunies du Mont d’Or surplombent une mer de nuages. Qu’ils se fracassent contre les parois de calcaire ou s’écoulent parmi des récifs de conifères, le spectacle est grandiose. Une troupe de chardonnerets y vole de buisson en buisson en pépiant, quelques grives draines traversent le ciel gris en petits contingents, un roitelet huppé farfouille dans les rameaux d’un épicéa rabougris… Puis un cri prévient le promeneur de l’apparition d’un oiseau peu banal. Le Cassenoix moucheté fait une courte apparition.

A l’apercevoir furtivement entre deux épicéas, on pourrait le prendre pour un geai. Pourtant plusieurs choses différencient les deux oiseaux. Autant de petits détails qui ne laissent pas beaucoup de place au doute. Son cri, aigre et mécanique, se distingue assez facilement de celui de son cousin, à cela qu’il est moins rauque ou moins éraillé. C’est un croassement, une répétition de sons discordants sans être désagréables, assez sonores et finalement plus proche de celui de la corneille…



Peu importe si le son n’est pas reconnu par l’auditeur humain, ce qui est important, c’est qu’il annonce assez souvent l’arrivée imminente de l’oiseau. Se tenir prêt : ôter les caches des jumelles et être sur ses gardes… Le voilà qui passe entre deux sapins ! Trop vite pour avoir eu le temps d’armer les jumelles, assez pour s’apercevoir que ce gros oiseau n’est pas un geai, Il y a quelque chose dans le vol et l’allure et, malgré un sérieux air de famille, le vol du geai nous est trop familier pour être confondu... Il repasse ! Malgré le contrejour, on a le temps de remarquer la livrée sombre et les larges bandes blanches qui bordent les plumes des rectrices.

Deux autres « Krékrékré ! » résonnent avant que l’oiseau ne reparte de son vol tranquille et quelque peu chaloupé vers le ciel, suffisant pour bien voir la queue, courte et étendue, et le bec, gros et puissant. Il se pose sur la cime d’un épicéa et reste là juste le temps d’une courte observation aux jumelles : tête plate et calotte chocolat ; plumage brun foncé, parait noir dans la lumière de l’automne, faisant ressortir encore plus les larmes blanches qui perlent sur une large partie de son corps ; ailes noires ; sous caudales blanches… Sa posture une fois perchée est tout aussi typique que celle dévoilée en volant. Ça y est, il repart. Le promeneur aussi, qui se dit maintenant qu’il n’a pas voyagé pour rien.




Le Cassenoix moucheté (Nucifraga caryocatactes) est un oiseau de montagne. Pour le voir, le plus sûr est encore de se rendre dans les Alpes. En fonction de la vallée, il pourra éventuellement être assez commun. On estime la population jurassienne à quelques centaines de couple : Massif du Risoux, du Mont d’Or, du Risol, du Noirmont… Plus bas, les observations sont plus rares, principalement le fait de jeunes oiseaux pas encore établis sur un territoire. C’est que l’oiseau aime la montagne et ne la quitte qu’en cas de force majeure. Son aire de reproduction se situe entre 800 mètres d’altitude et la limite des derniers arbres, toujours dans des forêts de résineux auxquelles il parait inféodé. Dans les Alpes, le Cassenoix dépendra d’un autre conifère pour sa subsistance : le pin Cembro ou Pin Arole dont il recherche les pignons. Durant toute la belle saison, le Cassenoix travaille à en décortiquer les pives qu’il façonne avec beaucoup de dextérité pour en extraire les graines. Il les stocke ensuite dans son jabot et part les cacher dans un endroit propice à leur conservation. Dans le Jura, où l’on ne trouve pas de pin Cembro, se sont les noisettes qui ont sa préférence.

Une des caractéristiques les plus étonnantes du Cassenoix moucheté, c’est son incroyable mémoire. On estime à plus de 80% la réussite des tentatives pour retrouver une cachette, et cela dans un environnement le plus souvent recouvert d’une épaisse couverture neigeuse, et par conséquent, bien différent visuellement de la période de cachette. Cachette qu’il retrouvera sans hésitation même dans 45 cm de neige. On a retrouvé des tunnels menant à une cache longs de plus de 1m30 et jamais une cache déjà vidée ne le sera deux fois…

Sources :

LPO Franche-Comté (collectif), 2018. – Les oiseaux de Franche-Comté. Répartitions, tendances et conservation. Biotope, Mèze.

Paul Géroudet, 2010. – Les passereaux d’Europe. Delachaux et Niestlé.

Killian Mularney, Lars Svensson, Dan Zetterström, Peter J.Grant, 2008. – Le guide ornitho. Delachaux et Niestlé.



178 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page